Bon,
cela faisait longtemps que j'avais vu les deux premiers de la série : j'étais encore à Paris, bien sûr, lors de la sortie du premier il y a près de dix ans et je m'étais précipité pour le voir,
noblesse oblige en quelque sorte...
J'avais beaucoup aimé l'élégie de Fauré, les paysages de Haute-Loire et d'Ardèche et ces profils de paysans s'estompant comme sur des vieilles photos jaunies et de moins en moins déchiffrables.
Depardon était venu à la fin de la projection mais j'avais été très déçu car il ne savait pas expliquer pourquoi il s'était lancé dans cette trilogie : en réalité, il avait du mal à exprimer ce
qui ressemble fort à une sorte de mea culpa collectif que la société de consommation adresserait aux représentants oubliés de l'origine du monde...
J'ai vu le second alors que je bossais mes cours de BEPA : il m'avait paru plus dynamique, plus tourné vers l'avenir, ouvrant des perspectives, finalement et j'attendais avec impatience le
troisième volet en souhaitant qu'il continue dans cette voie pour attirer des jeunes et montrer combien ce métier éternel ne finira qu'avec le temps...
Je l'ai regardé hier et je suis resté un peu assommé... Etait-ce le temps gris, les lendemains de fête ou le contenu ? J'en ai retiré une forte envie de pleurer avec l'impression d'avoir vu
passer un corbillard sur lequel ce film se contente de tracer un signe de croix en poussant un petit soupir de soulagement... Et on garde surtout l'impression qu'il n'y aura plus rien
derrière si ce n'est quelques rêves d'enfants qui se briseront sur la réalité.
Bon sang, à quoi ça sert de faire des films ce ce genre tout juste bons à désespérer Billancourt ?! On a l'impression que le réalisateur vit dans sa nostalgie, la nostalgie de son enfance, la
nostalgie de ses rêves... Comme Boabdil, il pleure comme une femme ce qu'il n'a pas su conserver comme un homme, en quelque sorte ! Mais est-ce bien utile de nous faire croire que tout le monde
devrait pleurer avec lui ? Et tout le monde bobo de pleurer des larmes de crocodile en gémissant sur les petits paysans qui disparaissent, et avec eux les bons produits et les belles méthodes de
travail !...
Sacrée bande d'hypocrites ! Avouez que ce qui vous émeut, c'est de voir chez ces paysans les qualités qui vous font défaut ! La persévérance, l'amour du travail bien fait, l'attention portée aux
bêtes et aux autres, la patience des saisons... Alors qu'il vous faut immédiatement votre nouvelle tablette tactile, vos fraises du Chili et des enfants qui s'élèvent tout seuls... Et ce qui vous
rassure, c'est de penser que ces valeurs disparaissent, définitivement, et qu'il n'y aura demain plus personne pour vous reprocher, par son travail et son attitude, la lâcheté de la vôtre ni pour
vous empêcher de consommer en paix...
Finalement, ce que je reproche à Depardon, c'est de justifier à bon compte la perte des valeurs et du sens dans la société par du sentimentalisme bon marché. Et ce que je lui reproche plus
fondamentalement, c'est de mentir car il y aura toujours des gens pour faire vivre les pays, avec courage, passion et, grâce au ciel, une totale indifférence au cynisme ambiant.
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